Le traitement par électrochocs

PAR ALEX DAVID, 2015

L’électroconvulsivothérapie (ECT) a reçu un lifting de relations publiques, mais cette procédure est-elle moins laide pour autant?

Les supporters de l’électroconvulsivothérapie, plus connue sous le nom de traitement par électrochocs, disent que cette thérapie n’est plus ce qu’elle était. Oubliées les images de contorsions, de patients réticents attachés de force à des lits d’hôpitaux, avec des électrodes fixées sur le crâne pour leur donner des chocs électriques. Oubliées les images de malades mentaux rendus dociles et apathiques, voire catatoniques, par cette procédure.

Les partisans de l’ECT affirment que ces images représentent une compréhension archaïque du traitement de référence pour les dépressions profondes et tenaces, qui résistent à la psychothérapie et aux médicaments. Selon ses défenseurs, l’ECT n’est plus aussi dure et dangereuse qu’elle l’était lors des premiers jours; aujourd’hui, elle est indolore et efficace, et l’effet indésirable le plus fréquent est la perte de mémoire à court terme.

Une absurdité! Tel est le verdict prononcé sur l’ECT par Fred Baughman, un neurologue qui a vu de près les effets du «traitement» quand il était médecin assistant à l’Hôpital Mount Sinai à New York dans les années 1960.

Baughman reconnaît que les prétendues améliorations, telles que des impulsions électriques au lieu de courants continus et des chocs sur un seul lobe du cerveau au lieu des deux, peuvent rendre la procédure un peu moins dommageable pour chaque «traitement», mais il peut aussi en résulter une augmentation du nombre de chocs administrés. Et Baughman déclare que l’utilisation de l’électricité pour déclencher une crise d’épilepsie (peu importe comment) provoque une atteinte réelle et durable. «Vous créez une crise qui est une preuve évidente de lésions cérébrales», observe-t-il.

Leonard Frank, survivant de l’ECT et opposant de longue date à cette pratique, déclare que les médecins se font des illusions s’ils croient que des crises d’épilepsie médicalement induites sont plus sûres maintenant que jamais. Selon Frank, les rares recherches sur l’ECT montrent que la procédure provoque plus que des pertes de mémoire à court terme. Les survivants trouvent souvent que des pans entiers de leur vie ont été effacés.

Lorsqu’ils expliquent l’ECT aux profanes, les professionnels de santé utilisent des expressions ambiguës comme «réinitialiser les circuits défaillants du cerveau». Et, alors qu’elle est remplie de jargon et de termes techniques, la littérature scientifique qui tente de décrire comment fonctionne l’ECT n’est en fait pas moins vague que les brochures du genre «Esprit sain, vie saine» destinées aux patients potentiels. Sans entrer dans le débat sur l’efficacité de l’ECT dans le traitement de la dépression sévère ou d’une quelconque maladie mentale, même les praticiens les plus zélés du traitement ne comprennent pas comment cela fonctionne.

C’est une des raisons pour lesquelles la FDA (Food and Drug Administration) a rejeté en 2011 les demandes de reclasser les dispositifs ECT dans une catégorie exigeant moins de surveillance et a décidé de les laisser dans celle à «haut risque».

Moira Dolan, un médecin du Texas qui s’oppose à l’ECT, dit qu’une lecture attentive et éclairée de la littérature médicale sur l’ECT révèle des défauts de méthodologie dans de nombreuses études soutenant l’ECT comme remède à la dépression.

Par exemple, les études s’appuient en général sur des questionnaires très subjectifs donnés aux patients avant et après un traitement par ECT. Les psychiatres bricolent souvent avec les doses de psychotropes au cours d’une série de traitements par ECT, ce qui peut avoir un effet considérable sur la façon dont les patients rendent compte de leurs humeurs et états mentaux. D’autres études s’appuient sur les évaluations des médecins, une méthode de recherche visiblement périlleuse. «Une bonne part de la littérature dépend de médecins évaluant leur propre travail», dit Dolan.

Les études signalant de graves problèmes ne manquent pas. Publiée en décembre 2010, une revue de plus de 100 études et rapports sur l’ECT, effectuée par les professeurs John Read et Richard Bentall, tous deux de l’Université de l’OMS à Liverpool, a conclu: «Etant donné la forte preuve de dysfonctionnement persistant et, pour certains, permanent du cerveau … et la preuve d’une légère mais significative augmentation du risque de décès, le rapport coûts-bénéfices de l’ECT est si faible que son utilisation ne saurait être justifiée scientifiquement.»

Et une étude publiée dans les Actes de l’Académie nationale des Sciences (des Etats-Unis) en mars 2012 fait état d’une «diminution de la connectivité fonctionnelle» importante entre les lobes préfrontaux et d’autres parties du cerveau après ECT. Comme le dit un médecin dans une revue de cette étude, «C’est la même zone que celle agressée par la lobotomie chirurgicale. … [L]a plus vaste étude de suivi à long terme montre que la plupart des patients ECT ne se remettront jamais des dommages subis sous la forme de déficits mentaux sévères persistants.»

Il est surprenant de constater qu’il n’y a pas de meilleures données scientifiques sur l’ECT, si l’on considère que cette méthode a été utilisée depuis la fin des années 1930, époque où elle a été inventée en Italie sous le règne de Mussolini, par le psychiatre Ugo Cerletti. L’idée de l’ECT lui était venue dans un abattoir, où il avait vu du bétail et des porcs rendus dociles par l’électricité avant d’être abattus.

D’ailleurs, parallèlement à son utilisation comme «thérapie», l’ECT a eu une carrière longue et tristement célèbre dans les goulags et les prisons de régimes répressifs.

Durant les premières décennies de son utilisation, l’électrochoc a été administré sans anesthésie ni relaxants musculaires. Infligeant une douleur extrême, il créait des lésions à l’ensemble du corps; il provoquait des convulsions si violentes qu’elles brisaient les os et les dents. Dans ce contexte, l’histoire fournit de nombreux exemples où l’électrochoc a été utilisé comme instrument de torture.

L’un d’eux concerne des hôpitaux nazis qui pratiquaient l’euthanasie. Selon le professeur d’histoire Henry Friedlander, «la terreur était partout dans les salles de ces hôpitaux, non seulement parce que les patients avaient peur d’être sélectionnés pour être tués ou d’être battus ou maltraités par certains membres du personnel, mais aussi parce que certaines procédures médicales infligeaient des douleurs inhabituelles.»

Un psychiatre a décrit l’utilisation d’électrochocs par ses collègues pour torturer les prisonniers des Français pendant la guerre d’Algérie entre 1954 et 1962: «Il y a, par exemple, à Alger, des psychiatres que de nombreux prisonniers ont connus et qui ont donné des électrochocs aux accusés et les ont interrogés pendant la phase de réveil, qui se caractérise par une certaine confusion, une baisse de la résistance et une disparition des défenses de la personne».

La CIA a également sa propre histoire dans ce domaine: elle a formé, au début des années 1960, les services de sécurité marocains dans l’utilisation des électrochocs pour torturer les prisonniers pendant les interrogatoires.

Le journaliste Gordon Thomas a rapporté que: «devenu roi en 1961, Hassan II a demandé à la CIA de restructurer et d’entraîner son propre service de sécurité. [Celui-ci] a été entièrement pourvu de médecins qui ont supervisé une large série de tortures de détenus politiques dans un centre de détention construit à cet effet…

Il comprenait des chambres d’isolement. … Le centre avait également plusieurs machines à électrochocs Page-Russell, couramment utilisées sur les prisonniers. Pendant la période juste après un choc, les médecins marocains interrogeaient le détenu, cherchant des informations sur les opposants au roi.»

Les expériences peut-être les plus infâmes furent celles menées avec des médicaments et des électrochocs à l’Université McGill par le psychiatre Ewen Cameron dans le cadre du programme «Mind Control» financé par la CIA, traitement qu’il appelait «déprogrammation». Au 2e Congrès mondial de psychiatrie, en 1957, Cameron (président à diverses reprises des associations psychiatriques québécoise, canadienne, américaine et mondiale) décrivit la «déprogrammation» en ces termes: «La déstructuration approfondie des modèles de comportement existants au moyen d’un traitement intensif par électrochocs effectué habituellement en association avec le sommeil prolongé. … Il en résulte une amnésie complète pour tous les événements de cette vie.»

Le Manuel de contre-espionnage KUBARK de la CIA de 1963 est basé sur l’approche de Cameron dite de la «page vierge» qui consiste à faire régresser les personnes pour «reprogrammer» leurs esprits. Comme Naomi Klein l’a souligné dans The Shock Doctrine, le travail de Cameron a apparemment fait forte impression. Klein a rapporté que la CIA avait envoyé en 1966 trois psychiatres au Vietnam, avec une machine à électrochocs Page-Russell (recommandée par Cameron). Selon Klein, «elle a été utilisée de façon si agressive qu’elle a tué plusieurs prisonniers.» Alfred McCoy, auteur de A Question of Torture, a déclaré: «En fait, ils testaient dans des conditions de terrain si les techniques de déprogrammation développée par Ewen Cameron pouvaient réellement modifier le comportement humain.»

Les partisans de l’ECT sont prompts à se distancier de son application actuelle de ses racines dans l’Italie fasciste et de son utilisation dans la torture. Leur argument est à peu près celui-ci: l’ECT a une mauvaise réputation en raison de films comme Vol au-dessus d’un nid de coucou, qui montre un malade mental forcé à l’obéissance par des électrochocs dans un établissement médical sadique. Les gens qui reçoivent l’ECT aujourd’hui sont presque tous désireux de participer à une thérapie qui est sûre, indolore et presque sans effets secondaires.

Alors que la procédure moderne est généralement effectuée sans les dents brisées et les caractéristiques les plus macabres de sa pratique au début, le principe en est toujours le même: un courant électrique traverse le cerveau pour provoquer une crise d’épilepsie, la logique étant qu’une telle crise a un effet thérapeutique d’une manière ou d’une autre.

Le matériel promotionnel est prudent dans la description de la procédure et en présente une image tout à fait bénigne: «l’ECT est généralement administrée le matin, avant le petit-déjeuner», décrit une brochure. «Avant le traitement proprement dit, le patient reçoit une anesthésie générale et un relaxant musculaire. Les électrodes sont ensuite fixées sur le cuir chevelu du patient et un courant électrique est appliqué, provoquant une brève convulsion.»

Cette «brève convulsion» est une réaction du corps à la crise d’épilepsie induite par le courant électrique et qui crée des lésions au cerveau.

Le psychologue John Breeding, d’Austin, au Texas, refuse l’idée d’une ECT plus gentille, plus douce. Il croit que la thérapie par électrochocs a, en fait, un plus grand potentiel de dommages que jamais. En effet, dans la procédure moderne, on utilise des voltages beaucoup plus élevés, car les relaxants musculaires et les anesthésiques élèvent le seuil épileptogène et il faut plus d’électricité pour produire une crise d’épilepsie.

La quantité plus grande de chaleur et d’électricité détruit plus de cellules cérébrales, ajoute-t-il. En outre, «l’électricité passe à travers la barrière hémato-encéphalique, permettant à des toxines de pénétrer dans une zone normalement protégée. Donc, plus le choc est grand, plus il y a de lésions au cerveau.»

Breeding est à la tête de la Coalition pour l’abolition de l’électrochoc au Texas et mène de front une bataille pour interdire purement et simplement cette technique dans cet Etat. Les efforts visant à adopter des contrôles plus stricts sur la pratique ont été couronnés de succès en Australie occidentale, Israël, Sicile et dans le Connecticut.

Les lésions causées au cerveau par l’ECT ont pour effet divers degrés de perte de mémoire et un affaiblissement intellectuel et cognitif, déclare Colin Ross, un psychiatre de Dallas. Ross cite également des «preuves éloquentes» que les taux de décès de cause naturelle augmentent à la suite de traitements ECT, en particulier parmi la population des patients âgés. «Nous parlons de complications graves comme la mort cardiovasculaire suite à un AVC ou à une crise cardiaque», ajoute-t-il.

«Vu ce fait, il est vraiment étonnant de voir combien la psychiatrie classique est tolérante envers l’ECT.»

Pourquoi certains médecins modernes, pourtant liés par un serment de ne pas nuire, utilisent-ils et préconisent-ils les électrochocs? «C’est juste quelque chose d’autre que les psychiatres utilisent pour faire de l’argent», déclare Baughman. «Plus que toute la modernisation de la procédure, c’est là la principale raison du retour de l’ECT.»

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